Le lézard vivipare : une très forte sensibilité au changement climatique
Le lézard vivipare, en plus des suivis de terrain, a fait l’objet d’études expérimentales ayant pour but la compréhension des facteurs potentiellement impactant pour son maintien dans le contexte du changement climatique.
Entre 2017 et 2023, sur les sites suivis, les populations de lézard vivipare s’effondrent.
En 2023, sur 12 sites suivis, aucun lézard vivipare n’a été observé sur 7 d’entre eux. Sur les autres, la chute des effectifs est estimée entre 50 et 90 %
On observe donc une perte d’environ 80% des populations suivies lors de l’épisode de
canicule et de sécheresse de 2022 (il n’y a pas de tendance à la baisse entre 2017 et 2021, si on isole ces années, malgré les fluctuations observées). Mais, une partie de certaines populations ont survécu à cet aléa extrême.
Description du graphique
Les années entre 2017 et 2023 sont en abscisse du graphique. En ordonnée, les effectifs estimés de lézard vivipare, tous sites confondus sont notés entre 50 et 250 individus.
Sur le graphique, des carrés bleus sont associés à chaque année. Ils correspondent aux effectifs estimés chaque année. Ils sont accompagnés de l’intervalle de confiance de l’estimation (segment de part et d’autre du carré), soit de l’intervalle dans lequel se situe l’estimation à 95% de probabilité.
Les effectifs sont autour de 250 entre 2017 et 2021. Ils montent à presque 300 en 2020 puis chutent en 2022. Cette chute se poursuit en 2022 (110 environ) et 2023 (un peu moins de 50).
Des études expérimentales pour comprendre les phénomènes en jeu
La collaboration de Cistude Nature et le laboratoire CNRS du Centre d’Études Expérimentales de Chizé au sein des sentinelles du climat, mais aussi avec le Centre de Recherche en Écologie Expérimentale et Prédictive – Écotron Ile-de-France qui travaille depuis des années sur le lézard vivipare, a permis de dégager des premières tendances sur l’histoire de vie du lézard vivipare et sur les fragilités actuelles de cette espèce dans le massif landais, face au changement climatique. Voici un résumé de ces travaux en vidéo avec Olivier Lourdais, chercheur au CNRS de Chizé :
Description de la vidéo
Olivier Lourdais, chercheur au CNRS à Chizé, est le locuteur de la vidéo, directement ou en voie-off.
Le lézard vivipare est une espèce de lézard qui est vraiment intéressant pour tout un tas de raisons. Contrairement aux autres espèces de lézards qui aiment bien la chaleur et un endroit sec et ensoleillé,c’est un lézard qui est adapté au climat froid.
On voit, en vert, toute l’aire de distribution du lézard vivipare.
Il tient son nom de son mode de reproduction. Contrairement à la plupart des autres espèces de lézards, il met bas des jeunes complètement formés. Il est vivipare.
Mais il y a quelque chose d’assez exceptionnel ! Il existe certaines populations qui sont ovipares. C’est à dire qu’au sein de la même espèce, il y a des formes vivipares qui mettent bas des jeunes, et d’autres qui sont ovipares (qui pondent des œufs). En France, on a la chance d’avoir les deux formes.
A l’heure actuelle, les hypothèses les plus robustes c’est que un mode de reproduction ovipare, plus économe en eau, peut être favorisé dans les secteurs les plus arides où les contraintes hydriques seront les plus marquées.
Les populations ovipares sont présentes en Aquitaine, dans le triangle landais et les Pyrénées, et également en Espagne, en altitude. Quand on voit cette répartition, un des points qui pose question, c’est comment ces populations de plaine parviennent à se maintenir. D’autant que quand on adosse à cette carte d’altitude les conditions climatiques, ça devient vraiment troublant. Parce qu’on voit bien que les populations de ce secteur sont soumises à des conditions thermiques très chaudes notamment en période estivale.
Nos travaux suggèrent que la qualité de l’habitat, et la présence de microhabitats spécifiques, notamment de zones humides, qu’on appelle ici les lagunes, serait un élément clé pour comprendre cette distribution. Parce que ces lagunes offriraient des zones particulièrement fraîches et humides, qui permettraient à l’espèce de se maintenir malgré des conditions climatiques globales chaudes.
« 39 » « 98 » [un chercheur donne les poids et longueur du lézard vivpare qu’il est en train de mesurer]
La caractéristique de ces populations de basse altitude c’est que la densité d’animaux est moins grande. Les animaux sont aussi plus petits en longueur corporelle. Ils auraient tendance à avoir une condition corporelle aussi plus basse.
C’est une espèce qui a pu se maintenir à basse altitude depuis le dernier maximum glaciaire, soit dix à trente mille ans, jusqu’à nos jours. Donc, si les habitats sont de bonne qualité, et si on trouve en plaine des milieux frais et humides, ils peuvent servir de véritable capsule climatique, dans lesquelles une espèce comme le lézard vivipare qui est une espèce du froid, va pouvoir se maintenir plusieurs milliers d’années.
Si on a des milieux qui sont dévastés, dégradés, drainés, ce sont des milieux qui seront uniformes, homogènes, où seules les espèces généralistes pourront se maintenir.
Si on a des milieux avec beaucoup de variations structurales, beaucoup de variations microclimatiques, des sols humides, non drainés, des lagunes des landes, et tourbières, et bien là, on pourra voir un cortège d’espèces avec des besoins climatiques très contrastés, qui vont pouvoir se maintenir.
Donc, je pense qu’il est impossible de séparer la question de la réponse au changement global de la question de la qualité des habitats et des microhabitats.
Un lézard sensible aux conditions desséchantes
Ce graphique montre que le lézard vivipare a des pertes hydriques plus importantes que le lézard des murailles. Il est donc plus sensible face aux fortes chaleurs ou aux conditions desséchantes (voir l’article scientifique) et aura tendance à se cacher, ce qui entraine une baisse d’activité.
Description du graphique
Pour le lézard des murailles, pour les formes ovipares et vivipares du lézard vivipares, les pertes hydriques cutanées ont été mesurées en conditions desséchantes (en ordonnée). Le résultat est représenté par des barres, en vert sur le graphique, pour chaque espèce. Le lézard vivipare, quelque soit sa forme de reproduction, perd 70 % d’eau que le lézard des murailles.
Le stress thermique et hydrique a des conséquences physiologiques.
Pour la forme vivipare, elles se manifestent par exemple au moment de la gestion, entrainant des pertes musculaires chez les femelles et des gains de masse plus faibles (voir l’article scientifique).
Une autre analyse a été réalisée à partir des gradients thermiques existants sur l’aire de répartition du lézard vivipare (forme ovipare), de la plaine à la montagne. Les individus ont une masse et une taille plus importantes quand la pluviométrie est plus forte et les températures plus basses.
L’importance des conditions de l’habitat
Les chercheurs ont aussi tester les apports en eau potentiels pour le lézard vivipare afin d’identifier ceux qui ont un bénéfice pour le maintien de la balance hydrique des individus. Ces apports peuvent venir de l’environnement (eau libre, pluie) ou de la nourriture (proies avec différentes teneur en eau). L’étude est sans appel : les populations ovipares en plaine ont besoin d’eau libre, ou d’une importante humidité (voir l’article scientifique).
Le lézard vivipare pourrait d’ailleurs ajuster son comportement pour atténuer les effets des conditions extrêmes en recherchant les zones refuges les plus humides. L’ajustement comportemental est un phénomène classique chez les reptiles (voir l’article scientifique dont est issu le graphique).
Description du graphique
Ce graphique décrit l’utilisation de microhabitats sec ou humides proposés à des vipères aspic placées en conditions globales sèches. En ordonnée, le pourcentage d’utilisation du microhabitat disponible par session de 3 jours. En abcisse, le temps, par session 3 jours. A la 1e session, toutes les vipères ont des microhabitats secs. Aucune ne les utilise. Entre le jour 3 et le jour 20, un microhabitat humide est proposé à un groupe, tandis que l’autre groupe reste dans les conditions de départ. Plus le temps passe, plus les vipères du 1e groupe passent de temps dans le microhabitat humide. L’autre groupe utilise très peu le microhabitat sec (moins de 10% du temps). Pour la dernière session, tout le monde a un microhabitat humide. A ce moment, les vipères privées de refuges humides passent 90% de leur temps dans le nouveau microhabitat humide.
En plaine où les températures sont élevées et le climat plus sec, la disponibilité de microhabitats humides est indispensable. Elle permet aux individus de trouver des refuges leurs permettant de maintien de la balance hydrique, le succès de la reproduction et, en définitive, assure la résilience des populations.
Le lézard vivipare est sensible aux pertes hydriques en contexte de sècheresse.
Avec des conséquences dramatiques : depuis 2022, la chute des effectifs des populations suivies sur le terrain est de 80 %.
Il est capable d’atténuer ces pertes s’il trouve dans son milieu des refuges frais.
Il est indispensable d’envisager un travail de restauration de son habitat afin de maintenir la persistance des nappes superficielles.
Le lézard vivipare, sentinelle des disparations à venir ?
Largement étudié, et toujours suivi, le lézard vivipare est une espèce sentinelle pour la France des effets de changements globaux fragilisant notamment les lagunes des Landes de Gascogne. A l’image des tourbières du Limousin, ces milieux si particuliers abritent une flore et une faune habituellement présentes en montagne ou dans les latitudes plus élevées au sein d’une région plutôt chaude.
Une présence d’au moins 120 000 ans
Une étude montre que les conditions climatiques du triangle landais étaient favorables à la présence du lézard vivipare pendant le dernier maximum glaciaire (il y a 22 000 ans), soit la période la plus froide de ces 120 000 dernières années.
Indépendamment de cette originalité historique (ce lézard vivipare, ovipare, appartient à un groupe génétique très ancien), il est encore actuellement dans ces lagunes car elles présentent les conditions microclimatiques qui lui sont nécessaires. On peut supposer que le cortège d’espèces spécifiques aux lagunes s’y maintient lui aussi pour les mêmes raisons.
Ces lagunes et les landes humides associées sont les vestiges de la gigantesque zone humide que représentait le triangle landais avant son assèchement et sa mise en exploitation dès le XVIIIe siècle.
Aujourd’hui, elles sont les reliques, les derniers points humides d’un milieu surexploité pour la sylviculture et l’agriculture industrielles à grande échelle du XXe et XXIe siècles.
Ainsi, le lézard vivipare n’est plus présent que dans quelques sites, déconnectés les uns des autres. Dans un tel système, rendu dysfonctionnel par nos usages, la canicule de 2022 est un point de bascule pour le lézard vivipare : les dernières populations de plaine de la forme ovipare disparaissent sous nos yeux alors qu’elles se sont maintenues vraisemblablement depuis au moins 120 000 ans. Et c’est aussi tout un réseau de zones humides, aux caractéristiques et à sa biodiversité uniques, qui dépérissent.
Agir, une nécessité absolue
Il est urgent de mettre en place un plan de conservation en agissant sur le maintien de la présence d’eau par la restauration du système hydraulique. Actuellement conçu pour l’évacuer, il doit être repenser pour garder cette eau si précieuse (et pas seulement pour la biodiversité).
A l’échelle des lagunes, les actions de gestion doivent aussi intégrer le maintien de microhabitats diversifiés. A même de diversifier les conditions thermo-hydriques au sein d’un même site, ils permettent aux individus d’exprimer leur capacité d’ajustement comportemental, en sélectionnant activement les microclimats susceptibles d’atténuer les effets du changement climatique et ainsi continuer à jouer leur rôle de capsules climatiques.
Téléchargez les résultats Nouvelle-Aquitaine
Une première vague de résultats 2016-2021 des suivis réalisés en Nouvelle-Aquitaine a été produite. Deux versions résumées sont disponibles en cliquant sur les boutons ci-dessous.